Les risques psychosociaux ne sont plus un phénomène ignoré. Pourtant, ils sont encore difficiles à traiter et analyser. Encore trop souvent, les entreprises viennent à se préoccuper de la problématique des RPS au moment où surviennent des conséquences parfois irréversibles.
La prévention est aujourd’hui nécessaire pour créer des conditions propices au bien-être et à la qualité de vie au travail. Bien que cela soit difficile à mettre en œuvre, les entreprises comprennent que le travail peut être source de satisfaction, de créativité et d’épanouissement de l’individu, des circonstances bénéfiques à long terme pour tous.
Mieux connaître les risques psychosociaux
On qualifie de « risques psychosociaux » (ou RPS) les éléments qui portent atteinte à l’intégrité physique et à la santé mentale des salariés au sein de leur environnement professionnel. Ces risques peuvent recouvrir différentes formes : le stress, parmi les plus connus, mais aussi le harcèlement,l’épuisement professionnel et même la violence au travail. Ils sont la cause de plusieurs maux etpathologies (problèmes de sommeil, dépression, troubles musculo-squelettiques, maladies psychosomatiques, etc.).
L’INSERM définit les RPS comme la combinaison d’un grand nombre de variables, à l’intersection des dimensions individuelles, collectives et organisationnelles de l’activité professionnelle, d’où leur complexité et leur caractère souvent composite.
Les RPS les plus répandus
Le stress
Le stress professionnel se caractérise par un déséquilibre entre les contraintes imposées par son activité professionnelle (temps réduit, conflits avec la hiérarchie ou les collègues, surcharge de travail…)et les ressources dont une personne dispose pour travailler dans un tel environnement. Et ceci est tout à fait subjectif puisque ces deux caractéristiques sont mesurées selon la perception de cette personne.
Il y a deux sortes de stress :
- le stress aigu : la personne doit affronter un stress ponctuel
- le stress chronique : la personne fait face à des situations de stress à répétition voire même qui s’accumulent.
Les facteurs de stress au travail sont jugés d’autant plus « toxiques » s’ils s’inscrivent dans la durée et sont subis par le travailleur. L’accumulation de stress dits « antagonistes » est également source de maladies chez les salariés. C’est le principe exposé par le « job strain » de Karasek quand on exige du travailleur une forte productivité mais qu’il n’a qu’une faible marge de manœuvre ou encore dans le modèle Siegrist qui combine une forte exigence de productivité à de faibles bénéfices retirés de ce travail.
Épuisement professionnel (« burnout »)
L’épuisement professionnel est ce que l’on peut appeler le niveau supérieur d’une situation de stress prolongée. En effet, ce « burnout » est fréquemment la conséquence d’un investissement personnel et affectif important dans son activité professionnelle. On peut ainsi souvent le croiser dans les professions en lien avec la formation, la santé ou l’aide sociale.
L’épuisement professionnel peut se manifester de la manière suivante : désintérêt pour le contenu de son travail,épuisement physique, mental, émotionnel ou encore dépréciation de ses propres résultats.
Harcèlement moral
C’est une forme de RPS qui existe depuis des siècles mais à qui on a véritablement donné un nom seulement dans les années 1980. C’estHeinz Leymann qui l’a nommé sous le terme anglais « Mobbing », terme qui signifie « l’action d’une foule assaillant une personne ». En effet, le harcèlement moral réside dans l’intention, pour une personne ou un groupe de personnes, de nuire à une ou plusieurs autres personnes.
C’est une action aujourd’hui punie par la loi tant elle constitue un désir volontaire d’atteindre l’intégrité d’une personne. Le harcèlement moral a des conséquences graves pour un salarié : cela remet non seulement en cause son droit au travail mais également son équilibre personnel, celui de sa famille et sa santé. Et c’est pourtant l’une des formes de violence les plus répandues aujourd’hui dans le monde professionnel.
Violence et agressions
La violence au travail peut se rencontrer à l’extérieur comme l’intérieur de l’entreprise. Elle peut être doncdu fait des clients comme des collègues par exemple et recouvrir des dimensions plus ou moins graves (harcèlement moral, agressions sexuelles…).
Certains secteurs d’activité sont plus touchés que d’autres par la violence externe. Les activités de servicemultiplient les contacts qui peuvent créer des tensions voire dégénérer en conflits. Lesactivités dans lesquelles des personnes manipulent des objets de valeur (banques, bijouteries…) sont fréquemment à la une en termes d’agressions plus ou moins graves.
Pour ce qui est des violences internes, on constate généralement deux choses :
- l’auteur est fréquemment une personne bien intégrée à l’entreprise (il croit alors pouvoir justifier davantage son attitude)
- la victime n’est pas nécessairement une personne jugée comme fragile (femme, jeune)
Causes et conséquences des risques psychosociaux : une dimension complexe
Les causes des risques psychosociaux
La complexité des risques psychosociaux réside dans le fait que de multiples facteurs en sont à l’origine. En voici une liste non-exhaustive.
Facteurs liés à l’environnement socio-économique de l’entreprise
- Incertitude sur le devenir de son emploi voire même de l’entreprise,
- Exigences accrues de compétitivité au niveau national et international.
Facteurs liés aux relations de travail
- Management déficient, autoritaire, peu participatif,
- Absence d’entraide entre collègues et hiérarchies,
- Absence ou faible reconnaissance du travail accompli.
Facteurs liés à l’organisation du travail
- Exigences contradictoires (vite et bien ? le client ou les quotas ?),
- Répartition des tâches et planification hors de contrôle,
- Contrats de travail instables (contrats précaires, sous-traitance),
- Horaires de travail inadaptés (à la vie sociale et familiale, aux rythmes biologiques),
- Missions imprécises,
- Modes d’organisation modernes (polyvalence, flux tendu)
Facteurs liés à la tâche ou liés au contenu du travail à effectuer
- Risques liés à l’accomplissement de sa tâche (une erreur médicale pour un chirurgien),
- Qualité de travail demandée très exigeante (une demande de forte précision),
- Quantité démesurée de travail (une demande de fort rendement, une pression temporelle),
- Difficultés liées aux missions (l’absence d’autonomie, la répétition).
Facteurs liés à l’environnement physique et technique
- Conception inadaptée des espaces de travail (éclairage…),
- Nuisances physiques (bruit, chaleur, humidité).
Chacun de ces facteurs, combinés à plusieurs des autres, va favoriser l’émergence de risques psychosociaux. Depuis bien des années, il est difficile d’arriver à maintenir tous ces indicateurs au beau fixe et nombreux sont les RPS cités chaque jour dans les médias.
Les conséquences des risques psychosociaux
Les RPS ont des impacts négatifs tant sur les travailleurs que sur leur entreprise.
Des conséquences pour les salariés…
Les risques psychosociaux peuvent engendrer des pathologies voire des accidents du travail et avoir des conséquences irréversibles :
- troubles émotionnels
- troubles du sommeil : peuvent altérer la vigilance
- troubles digestifs : coliques, gastralgies, gastrites, colopathies…
- hypertension
- problèmes cardio-vasculaires et lipidiques
- troubles métaboliques
- troubles musculo-squelettiques (le stress est aujourd’hui reconnu comme étant une cause évidente de ces TMS)
- troubles anxio-dépressifs
suicide ou tentative de suicide (une expertise médicale ou psychologique est nécessaire pour établir un lien entre le suicide et le travail)
… et pour les entreprises
Ce qui impacte un salarié se répercute sur la bonne marche de son entreprise.
- absentéisme : une absence du travail peut être plus ou moins justifiée. Bien sûr, on s’interrogera plus facilement si le salarié vient à manquer une journée en début ou en fin de semaine par exemple. Les absences pour « mauvaise raison » ou pour une maladie peu handicapante sont le signe d’un désinvestissement du travail au profit de la vie extraprofessionnelle.
- productivité en baisse
- grèves, mouvements sociaux, procédures judiciaires (cas du harcèlement notamment)
- augmentation du turn over (taux de rotation du personnel) : que celui-ci soit directement du fait des salariés (démission) ou non (licenciement, inaptitude, départ en retraite anticipée)
- actes de malveillance ou de violence au travail : comme nous l’avons vu précédemment, ils sont tant bien une cause qu’une conséquence
La prise de conscience de toutes les dimensions des RPS amènent aujourd’hui tous les acteurs de l’entreprise à réfléchir à cette problématique. Mais cela ne s’arrête pas là : toute la société est concernée.
Agir pour prévenir les risques psychosociaux
Difficile de mettre en place des actions de prévention lorsque l’on ne sait pas comment gérer le phénomène des risques psychosociaux. Nombre d’entreprises s’attachent donc aujourd’hui à en détecter les signes grâce non seulement à des études qualitatives mais aussi par le biais d’observations.
Bien souvent, ce sont les conséquences des RPS qui se font remarquer. Néanmoins, de plus en plus d’entreprises, avec l’aide des partenaires sociaux et tous les acteurs de l’entreprise, parviennent à mettre en place des analyses sur les facteurs que sont par exemple l’organisation du travail et l’agencement des zones de travail.
La prévention des risques psychosociaux n’a réellement été initiée que dans les années 2000 avec des accords nationaux interprofessionnels sur le stress principalement.
Diagnostiquer précisément les facteurs de risques psychosociaux dans le but de les éviter ou du moins limiter leurs conséquences est très difficile. En effet, chaque entreprise est unique et peut rencontrer des situations tout à fait différentes des autres. La résolution des problèmes fait donc appel à desmesures spécifiques. Par ailleurs, il est judicieux, pour garantir une certaine efficacité, de prendre les mesures nécessaires en concertation avec tous les acteurs concernés de l’entreprise (le CHSCTnotamment). D’autres organismes peuvent apporter leur aide :
- les organismes de prévention : CRAM, MSA, ANACT et ARACT, OPPPBTP…
- les services de santé au travail
- des consultants extérieurs…
- des médecins du travail spécialisés en gestion du stress au travail
- les IPRP spécialisés en ergonomie, en psycho-ergonomie ou en organisation du travail
Une prévention à trois temps
Les actions de prévention peuvent intervenir à trois moments bien distincts.
- La prévention primaire
Elle correspond à l’ensemble des actions ayant pour but d’identifier et éliminer les facteurs de risque à la source. La prévention primaire est idéale dans la mesure où l’on évite les problèmes avant qu’ils ne se posent. Néanmoins, elle est très complexe à mettre en place : il faut établir un panel très étendu de situations possibles et donc d’actions d’anticipation.
- La prévention secondaire
Elle vise à limiter les conséquences des RPS sur les personnes présentant déjà des symptômes. C’est une prévention appelée « corrective » qui intervient seulement sur une partie des facteurs, les facteurs que l’entreprise aura le plus facilement repérés après la mise en œuvre d’une démarche de détection des RPS.
- La prévention tertiaire
C’est le niveau le plus insuffisant mais qui peut néanmoins marquer le début d’une réflexion pour l’entreprise. La prévention tertiaire consiste à intervenir sur une personne ou un groupe de personnes déjà atteintes pour que leur état ne s’aggrave pas. Elle englobe des actions menées dans l’urgence pour aider les travailleurs en incapacité de faire leur travail
De manière plus pratique, si l’on prend l’exemple du stress. La prévention primaire consiste à réduire celui-ci avant l’apparition d’un stress chronique. Les programmes de « gestion individuelle du stress » sont les actions les plus fréquentes de la prévention secondaire. En ce qui concerne la prévention tertiaire, pour un individu présentant des troubles anxio-dépressifs dus au stress par exemple, il s’agit plutôt de mettre en place une psychothérapie.
La prévention est essentielle dans le traitement des risques psychosociaux. Et il est important qu’elletienne compte des individualités pour être efficace. En effet, instaurer des réunions de débriefing est souvent efficace lorsque des tensions sont constatées dans un groupe. Néanmoins, chaque individu réagit différemment et instaurer des solutions adaptées est donc plus efficace à long terme.
Détecter les symptômes sur les individus
On classe généralement les symptômes des RPS en trois classes :
- Les symptômes physiques : migraines et maux de tête, muscles tendus, fatigue inexpliquée, digestion difficile, malaises, etc.
- Les symptômes psychologiques : agacement, inquiétude, énervement, découragement, tension, problèmes de sommeil, insatisfaction, crises de larmes, etc. autant d’émotions qui s’ajoutent les unes aux autres
- Les symptômes comportementaux : addictions de plus en plus prononcées au café, au tabac et/ou à l’alcool, troubles alimentaires (anorexie, boulimie), tendance à l’isolement, agressivité, etc.
Tous ces symptômes varient en fonction de chaque individu et chaque situation, d’où leur aspect complexe. Il est donc fondamental d’analyser chaque individu avec beaucoup de précautions.
Dépister les risques au niveau de l’entreprise
Avant de déclencher des actions de prévention, l’entreprise a besoin de déterminer si cela est nécessaire et dans quelle mesure. Pour ce faire, plusieurs indicateurs peuvent être analysés. L’entreprise retiendra les indicateurs pertinents dans sa situation.
Au niveau du fonctionnement de l’entreprise
- Aménagement des horaires de travail (absentéisme, horaires atypiques…)
- Mouvements du personnel (Turn over, postes non pourvus, proportion de travailleurs temporaires…)
- Activité de l’entreprise (défauts de production…)
- Relations sociales (moyens et actions du CHSCT…)
- Formation et rémunération (pourcentage de salariés dont le salaire dépend du rendement…)
- Organisation du travail (existence de flux tendus, pauses…)
Au niveau de la santé et de la sécurité des salariés
- Accidents du travail (taux de fréquence et de gravité, causes des accidents…)
- Maladies professionnelles (nombre de troubles musculo-squelettiques déclarés ou reconnus…)
- Situations graves (tentatives de suicide ou suicide, harcèlement moral ou sexuel reconnu, violences physiques)
- Situations dégradées (plaintes pour harcèlement, violences verbales)
- Stress chronique (nombre de symptômes physiques ou émotionnels, recours à des substances psychoactives…)
- Pathologies diagnostiquées et prises en charge (hypertension, dépression, anxiété…)
- Activité du service de santé au travail (nombre de visites spontanées, durée moyenne des consultations…)
L’analyse doit porter sur la variation de ces indicateurs au cours du temps ainsi que les disparités au sein de l’entreprise ou par rapport aux données nationales. Leur suivi au cours de la mise en place des actions de prévention permettra d’évaluer les bénéfices de celles-ci.